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Pour les sourds et les malentendants, le port du masque est un enfer: "Je vis en retrait, frustrée, sans dialogue"

Sourde "profonde", cette habitante de Saint-Georges-sur-Meuse vit "très mal" la généralisation du port du masque dans les lieux accessibles au public. Elle demande de l'aide. Elle existe, du moins à Bruxelles: des masques transparents, mais conformes, sont sur le point d'être fabriqués et distribués.

On le répète régulièrement: la crise du coronavirus a des conséquences nombreuses, et parfois inattendues dans certains domaines. C'est le cas des personnes sourdes et malentendantes, dont la plupart lisent sur les lèvres, et qui sont donc incapables de comprendre les personnes portant un masque.

"La société actuelle ne pense pas assez aux porteurs d'un handicap, et impose des solutions sans réflexion", nous a écrit Marie-Danielle via le bouton orange Alertez-nous. Si elle comprend que le port du masque soit imposé, elle se sent "oubliée".

Ironie du sort: "Je confectionne des masques"

Marie-Danielle habite Saint-Georges-sur-Meuse et a 52 ans. "Je suis sourde profonde", nous a-t-elle expliqué. Elle travaille dans "une ETA, une entreprise de travail adapté". Elle était "en sous-traitance dans un restaurant, en cuisine" jusqu'à la crise du coronavirus. Ce restaurant étant actuellement fermé, "je suis retournée en ETA à Fernelmont pour confectionner des masques covid-19".

Marie-Danielle a trois filles, "deux malentendantes et une sourde profonde". La vie n'est donc pas facile tous les jours.

Et encore moins actuellement. "On fait plein de masques, on en vend partout mais nous, sourds, comment on fait pour comprendre les gens quand on l'habitude de faire de la lecture labiale ?". Pour notre témoin, lire sur les lèvres est "le seul moyen de communiquer" car elle comprend "un peu les signes, mais pas pour une conversation".

"Nous sommes aussi des travailleurs"

Sur son lieu de travail et sans doute, bientôt, dans certains lieux publics, Marie-Danielle croise des personnes portant des masques, mais elle ne même sait si elles parlent. "Je vis en retrait. Je n'ai plus de dialogue, pour ainsi dire, et je suis frustrée". Pire: lors de certaines réunions (avec port du masque), "moi et d'autres collègues sourds, on ne comprend rien".

Notre témoin comprend bien que la situation est temporaire et inédite, mais elle la voit comme une nouvelle injustice. "Je suis dégoutée de ce monde qui nous met une fois de plus de côté. Or nous sommes aussi des travailleurs, nous faisons partie de la population".

Aujourd'hui, elle pousse un coup de gueule. "Voilà, merci de faire passer ce message, j'aimerais qu'on nous aide un peu durant ces moments difficiles à vivre".

Une très belle initiative à Bruxelles

Des masques transparents bientôt en production à Bruxelles

Dans l'époque coronavirus que nous subissons actuellement, tout le monde a du s'adapter dans la précipitation. Comportements sociaux, mesures d'hygiène dans les lieux accessibles au public et les entreprises: tout a été improvisé dans l'urgence, avec des résultats plus ou moins satisfaisants. Mais ça prend du temps: les masques pour couvrir le nez et la bouche commencent seulement à être en vente libre ou distribués par les autorités.

L'aide que cherche Marie-Danielle pourrait venir de masques transparents mais conformes aux normes, donc capables d'assurer la protection de ceux qui les portent ou de leur entourage. "Il y a une très belle initiative qui a été réalisée dernièrement", nous explique Pascale van der Belen, directrice de l'asbl Info-Sourds de Bruxelles. "L'entreprise de travail adapté Brochage Renaître s'est vraiment décarcassé pour fabriquer des masques de type professionnel, conformes, mais qui permettent la lecture labiale".

Dans un courrier adressé le 6 mai aux associations du secteur (dont celle de Pascale), les autorités bruxelloises compétentes (Phare) expliquent que la fabrication de ces "masques buccaux avec protection transparente" sera "tout prochainement" lancée. Les associations serviront de relais pour les distribuer aux bonnes personnes.

Et en Wallonie ?

Nous avons contacté l'Aviq (soutien pour une Vie de Qualité) en Wallonie pour voir si une telle initiative était prévue ou envisagée. "Nous sommes actuellement en réflexion pour équiper le personnel des services et déterminer si l’initiative bruxelloise pourrait être reproduite en Wallonie. Par ailleurs, des initiatives pour permettre la création et le développement de ce type de masques existent déjà. En effet, l’Institut Royal pour Sourds et Aveugles (IRSA) a ainsi mis en ligne un tuto accessible à l’adresse https://faitesvotremasquebuccal.be/pdf/masquetransparent-latest.pdf, afin de les confectionner soi-même", nous a expliqué Matthieu Henroteaux, chargé des relations presse. 

Cependant, il est difficile d'évaluer la protection offerte par ces masques, donc l'Aviq, comme la Fédération Francophone des Sourds de Belgique, appelle à la prudence (voir ci-dessous) et donne d'autres conseils (parler à travers un plexiglas, demander un interprète, utiliser des applications smartphones, etc). 

Les initiatives ne manquent pas: ici, celle de la créatrice française Anissa Mekrabech (©AFP)
 

Pascale "entend avec les yeux"

Pour Pascale van der Belen, elle-même malentendante, "c'est essentiel que des personnes malentendantes puissent recevoir des masques transparents, pour elles-mêmes ou pour donner à leurs proches". Elle a d'ailleurs reçu de nombreuses questions à ce propos: "très vite, des besoins sont remontés jusqu'à nous".  

Effectivement, selon elle, "le langage des signes est très souvent mis en avant, mais toutes les personnes sourdes ou malentendantes lisent avant tout sur les lèvres". Le port d'un masque normal est donc très perturbant. "On ne se rend pas compte à quel point les personnes malentendantes entendent avec les yeux. Moi je dois mettre mes lunettes pour entendre", précise-t-elle. Au-delà la lecture labiale, "tout le monde a besoin de voir le sourire, les expressions du visage, le non-verbal, pour bien comprendre un message vocal".

Les initiatives de fabrication de masques transparents se multiplient à travers le monde, mais il faut trouver le moyen de se procurer de tels dispositifs, sans prendre de risque avec du matériel non conforme. Raison pour laquelle la Fédération Francophone des Sourds de Belgique (FFSB), si elle affirme dans un communiqué que ces masques spéciaux sont "une bonne idée", "invite aussi à la prudence et donne quelques astuces pour se protéger autrement" (voir les détails).

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