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Le cri d'alarme de Lionel, ex-lauréat du concours Reine Elisabeth: "Beaucoup d'artistes seront à la rue dans 6 mois"

Le coronavirus en Belgique a de lourdes conséquences dans plusieurs secteurs. Le monde de la culture est sans doute l'un des plus touchés par cette crise sans précédent. De nombreux artistes se retrouvent dans des situations désastreuses. Lionel, Nicolas et Joachim nous racontent ce qu'ils traversent.

"Nous n’entendons rien sur la situation catastrophique des artistes pendant cette épidémie", débute Lionel Lhote, artiste lyrique, via le bouton orange Alertez-nous. Le lauréat du concours Elisabeth en 2004 nous dit craindre le pire pour sa profession. "Nous, les artistes, avons de gros soucis depuis la fermeture de toutes les salles de concert. Les théâtres ont supprimé tous nos spectacles, ce qui est tout à fait normal vu le contexte actuel", précise l'homme confiné comme le reste du pays. 

"Nous avons l’impression d’être les oubliés de la crise du coronavirus. Je pense que la situation du monde artistique est même pire que celle de l'horeca, car nous serons les derniers à reprendre le travail… s'il reprend", poursuit le baryton.


© Belga - Lionel Lhote et la reine Fabiola en 2004

"Pour l'instant j'arrive à vivre avec mes économies"

L'habitant de Colfontaine nous confie que l'arrêt des spectacles est difficile à vivre humainement et financièrement. "J'ai eu une très belle carrière durant 20 ans. J'ai pu vivre complètement de mon métier à plein temps. C'est ça aussi qui fait que cette situation est bizarre pour moi. J’ai eu deux annulations de production et je resterai au moins jusque fin août sans chanter. Avec le chômage, je suis aux alentours de 1200 euros par mois. Mais les salles de théâtre resteront sans doute fermées durant un long moment. Pour l'instant j'arrive à vivre avec mes économies, mais j’ai toujours des crédits à payer. Je ne pourrais pas tenir comme ça pendant un an", explique Lionel dont l’épouse, éducatrice dans une académie de musique, est également au chômage technique.


© Lionel Lhote - Opéra Royal de Wallonie-Liège

"A la limite d'aller aux Restos du cœur"

Malgré cette situation, Lionel s'estime chanceux par rapport aux cas de certains de ses amis artistes. "Pour ma part, j’ai la chance de bénéficier de mon statut d’artiste et je touche le chômage, car je peux prouver un certain nombre de jours de travail auprès du Forem", dit-il. Les personnes qui, comme lui, ont  ce statut, bénéficient d'un système de chômage particulier, avec des allocations qui sont moins rapidement dégressives pour peu que la personne puisse prouver trois prestations dans les 12 mois précédents. 

"Mais beaucoup d'artistes n'ont pas ce statut et touchent zéro centime", signale le chanteur. "Les jeunes qui débutent dans le métier se retrouvent dans de gros ennuis et sont vraiment aux abois, car ils n’ont rien du tout. Ils ne savent pas payer leur loyer. Ils sont à la limite d'aller aux Restos du coeur, car ils n'ont plus rien sur leur compte", alerte le Wallon.


© Lionel Lhote - Opéra Royal de Wallonie-Liège

"Moralement, c'est extrêmement dur"

C'est le cas de Nicolas, prénom d'emprunt. Cet artiste lyrique a débuté sa carrière il y a un an. Pour chaque prestation, le jeune homme est employé en contrat à durée déterminée dans des opéras. Jusqu'au début du confinement, il voyageait énormément et se produisait sur les scènes du monde entier, mais tout s’est arrêté subitement.

Financièrement, l'homme qui n'a pas le statut d'artiste, suffoque car il ne touche donc pas de chômage. "Pour avoir ce statut, il faut prouver un certain nombre de jours. C'est beaucoup de démarches et c'est assez difficile en fait. Et le but n'est pas d'aller chercher ce genre d'allocations quand on n'en a pas besoin", tient-il à préciser.

"Il n'y a aucune possibilité pour nous de recevoir de l'aide. Alors que je paie des impôts, 45% de mon salaire brut environ, mais je n'ai droit à aucune aide. Je n'ai pas d'économie car j'ai fini mes études il y a un an. J'ai emprunté de l'argent pour mes études et je viens d’acheter un appartement", dit-t-il avant d’ajouter : "Je n'ai absolument rien. De nombreux jeunes artistes se retrouvent dans le même cas que moi et sont laissés pour compte".

"Moralement, c'est extrêmement dur de voir que personne ne s'en soucie. Je réalise qu'on n'est pas du tout soutenu. Ca fait assez mal au coeur", avoue Nicolas, la voix trahie par l'émotion.

"On est vraiment laissé pour compte"

Pour Joachim Weissmann, réalisateur, cette situation est "compliquée et frustrante". "Ca fait deux mois qu'on est confiné. On est vraiment laissé pour compte. On est en marge de tous les projets politiques pour le déconfinement. On n'a plus le droit de travailler", déplore-t-il. "On avait des projets en cours mais on est dans l'attente d'une solution. On peut fantasmer sur des futurs projets, mais on ne peut pas monter d'équipe, on ne peut rien faire à cause du covid", précise l'artiste.


© Joachim Weissmann

"On attend des décisions politiques, mais aussi des assurances, car faire un tournage implique énormément de monde mais aussi des moyens techniques. Tant qu'on ne peut pas assurer un plateau, on ne peut pas tourner. C'est ça qui est frustrant (...) Quand un producteur engage une centaine de personnes, si les assurances ne suivent pas et qu'il y a une deuxième vague de confinement, qui prend en charge les personnes qui seront au chômage du jour au lendemain?", enchaîne le réalisateur. 

Financièrement, "il n'y a rien du tout" comme aide, nous dit Joachim, confirmant les dires de Nicolas. "Beaucoup d'artistes sont au chômage quand ils ne prestent pas, mais d'autres (sans statut d'artiste) ne touchent pas le chômage et travaillent quelques jours par-ci par-là en CDD. Mais depuis le confinement, ils ne touchent vraiment plus rien", insiste le Bruxellois.

Le confinement a révélé que ce statut n'est pas juste 

"En Belgique, le statut d'artiste n'est pas facile à obtenir et quand on peut l'avoir (car on réunit les conditions) on n'en a pas besoin, car il faut tellement prester qu'au final on n'en a plus besoin. Le confinement a révélé que ce statut n'est pas juste. Même si on pouvait avoir des aides de l'état pour les artistes, comme on n'a pas de relevé numérique et chiffré du nombre d'artistes, on ne saurait même pas leur venir en aide. En réalité, ce statut, c'est un pourcentage infime d'artistes qui l'a. C'est juste un mot que l'on met sur une situation", estime le réalisateur.

Après plusieurs semaines d'attente et aucune mesure officielle prise en la matière, ce dernier perd espoir... "Je ne vois même pas comment la politique qui met la culture au second plan, voire troisième, pourra aider en quoi que ce soit, si ce n'est par une relance des spectacles, des concerts et qu'on puisse travailler et faire des tournages", appuie-t-il.

"Rien ne va changer. Enfin, sauf si l'Etat permet aux assurances d'assurer des plateaux de tournage, à ce moment-là seulement, on va pouvoir travailler, mais ils ne le feront pas. Ils peuvent mettre des millions pour relancer l'industrie aérienne par exemple, mais le culturel ne fera pas partie de cette relance (...) On nous promet des choses mais on n'a rien. On nous propose des miettes. Je ne veux pas critiquer la politique, car ce n'est pas mon travail, mais qu'on laisse le surréalisme aux artistes", lance Joachim.

"Ca sera la fin de l'artistique"

Les artistes espèrent que des mesures seront prises rapidement pour leur permettre de reprendre le cours de leur vie. "On veut vraiment interpeller les politiques pour qu'ils s'occupent de notre cas, sinon ça sera la fin de l'artistique. C'est très compliqué car nous avons tous des problèmes différents. Les politiques devront faire du cas par cas", explique l'artiste lyrique Lionel. "Rien n'est décidé pour le moment et ça devient très urgent. On n'a pas envie que s'ils prennent des mesures, qu'elles n'arrivent que dans 6 mois. On veut pouvoir continuer à vivre pendant les mois où ces salles seront fermées", ajoute le chanteur.

Tout le secteur de la culture touché

Dans une lettre ouverte publiée le 21 avril, le directeur général de Bozar, Paul Dujardin, plaide pour un soutien massif des autorités à l'égard du secteur de la culture. Sans cette aide, le secteur ne survivra pas à la crise du coronavirus, d'après Paul Dujardin, qui demande l'établissement d'un plan de sortie.

"Le confinement dû au coronavirus a touché de plein fouet de nombreux secteurs, mais le coup est particulièrement dur pour celui de la culture", écrit le directeur de Bozar. " La fermeture de musées et des salles de concert et l'interruption des productions de films et séries télévisées ont un impact sur d'autres secteurs également", ajoute-t-il. Entretemps, beaucoup d'artistes se sont rabattus sur Internet pour continuer à proposer leur production à leur public, "mais nous savons tous pertinemment qu'un concert de musique classique ou un opéra n'éveillera jamais la même émotion vu à l'écran. Et nous sommes encore loin d'un modèle économique", regrette le directeur général de Bozar.

"Aujourd'hui, on répond à l'urgence sociale"

Le 13 mai, à l'issue du Conseil National de Sécurité, la Première ministre Sophie Wilmès a annoncé que les musées et infrastructures d'intérêt culturel pourront rouvrir leurs portes le 18 mai. Mais aucune annonce pour le reste du secteur... Et la prochaine étape du déconfinement n'aura pas lieu avant le 8 juin.

Cependant, il y a déjà un accord entre flamands et francophones pour "donner des perspectives de déconfinement au secteur" de la culture, a affirmé mardi 12 mai la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard. Le secteur de la culture va-t-il se relever de cette crise? "Je l'espère", a-t-elle répondu sur les ondes de BEL RTL le 15 avril. "On fait tout pour qu'il puisse se relever à un moment donné, mais c'est clair que c'est le secteur le plus touché, le plus impacté en termes de chiffre d'affaire. Derrière ça, il y a des gens, des artistes, des techniciens".

Pour tous ces métiers de la scène, "on a pris des mesures de soutien au niveau des opérateurs, donc on va payer les théâtres, et on leur demande de payer les acteurs, etc". D'autres mesures sont prises pour que les artistes conservent leur statut, "on arrête de compter les jours, ou on prolonge la période pour prester, ce sont des demandes qu'on fait au niveau fédéral, on attend une réponse". Cependant, le statut étant un peu spécial, "il y a des artistes qui passent à travers les mailles du filet de l'aide", regrette Madame Linard. "Aujourd'hui, on répond à l'urgence sociale", donc les autorités ne pourront pas aider tout le monde, tout de suite.

250 artistes payés cet été par le Brabant wallon pour des événements culturels

Le 14 mai, la province du Brabant wallon a annoncé qu'elle comptait allier déploiement culturel et relance économique et touristique: elle investira un million d'euros dans la culture pour permettre une programmation culturelle sur tout le territoire durant l'été, dans des lieux de plein air et dans le respect strict des mesures décidées par le Conseil national de sécurité (CNS).

Ce projet ouvert à toutes les disciplines artistiques est baptisé "Place aux artistes en Brabant wallon". Un minimum de 5.000 euros par commune est prévu pour des prestations artistiques et la technique nécessaire à celles-ci. Les communes qui investiront des moyens supplémentaires verront leur subvention augmenter en proportion pour créer un effet de levier.

L'objectif de "Place aux artistes en Brabant wallon" est la prestation de 250 artistes, toutes disciplines artistiques confondues, dans une cinquantaine de lieux proches des centres de ville et de village pour contribuer aussi à une relance du commerce local et des établissements horeca.

Deux aides de la Fédération Wallonie-Bruxelles

La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a pris deux arrêtés de pouvoirs spéciaux pour aider des artistes, créateurs et autres opérateurs.

- Un fonds d'urgence de 50 millions

- Maintien d'une aide financière existante même si le bénéficiaire n'a pas rempli les conditions de subvention en raison du confinement. Certaines activités culturelles, sportives ou folkloriques ont en effet dû être annulées et l'octroi de la subvention était normalement lié à leur organisation.

Les bénéficiaires pourront introduire leur demande jusqu'au 31 décembre 2020 via le site internet www.subsides-covid19.cfwb.be. Le numéro gratuit 0800/20.000 est aussi disponible.

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