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Coronavirus: cuisinière en pleine ascension, Louison perd espoir face à la crise, "je veux arrêter la restauration"

Au moment de reprendre ses études, il y a 5 ans, pour exercer le métier de second de cuisine qui la passionne tant, Louise avait des projets plein la tête. Comme pour beaucoup de travailleurs de l'Horeca, l'année 2020 a douché ses espoirs en plus de la mener dans la précarité. Les représentants du secteur craignent de voir son cas se multiplier et de voir fuir les employés qualifiés vers d'autres métiers.

"Catastrophe" : le terme revient souvent quand Louison fait le bilan de l'année qui vient de s'écouler. Cette salariée de l'Horeca n'a plus travaillé depuis le mois d'octobre. "Je voudrais aujourd’hui tirer la sonnette d’alarme, je suis second de cuisine, je donne toute ma vie à mon boulot", lance-t-elle via notre bouton orange Alertez-nous.

En 2015, Louison a enfin trouvé sa voie, elle en est convaincue. Après plusieurs années à enchainer les petits boulots dans la vente, les postes qu'elle occupe désormais dans l'Horeca lui conviennent et lui font comprendre que la cuisine est sa vocation.

Elle souhaite toutefois évoluer au-delà de son rôle de commis de cuisine et voit grand : "Ça me passionnait, j'avais envie d'avoir un autre poste que couper des légumes, j'avais envie d'évoluer là-dedans, de créer mon entreprise".

Responsabilités et reconnaissance

Alors, à 25 ans elle reprend des études qui lui permettent de devenir second de cuisine. Elle trouve rapidement du travail dans un restaurant de la région de Charleroi en 2017.

Sa place en cuisine lui impose de nombreuses responsabilités. Le second est en quelque sorte le sous-chef. En plus de gérer les stocks, veiller à la bonne organisation de l’équipe, elle doit être capable de remplacer le chef en son absence.

Impossible de remplir un tel rôle sans jouer des coudes selon Louison. Les responsabilités requièrent une certaine force de caractère : "Surtout qu’une femme en cuisine, c’est encore pire, il faut se battre doublement". Ses journées sont intenses mais grisantes et la rendent fière de s'être démenée pour passer en quelques années de vendeuse au comptoir à second de cuisine.

Louison passe trois années aux fourneaux de ce restaurant. Une expérience qui lui ouvre d'autres portes. Un poste similaire lui est proposé dans un établissement carolo qui vient d'ouvrir ses portes. Les responsabilités sont les mêmes mais le salaire est meilleur.

Une reconnaissance pour son travail accompli et des perspectives de vie plus confortables que Louison accepte volontiers à l'approche de la trentaine. L'année 2020 commence bien. Les premières semaines dans ce nouvel environnement lui plaisent.

Voir ce restaurant encore en phase d'ouverture qui a encore tout à construire auprès de sa clientèle la pousse à se projeter encore plus loin : "J'aimais bien mon boulot, je regardais déjà pour ouvrir un établissement à côté, niveau familial". "Heureusement que je ne l'ai pas fait", se désole-t-elle désormais amèrement avec le recul de l'année écoulée.

On se retrouve sur le canapé toute la journée, alors qu'on fait d'habitude des 60 heures semaines

En effet, à peine le temps pour elle de prendre ses marques que l'activité s'arrête brusquement au mois de mars 2020. Les premiers cas de coronavirus en Europe sont déclarés. Le continent ferme peu à peu ses frontières, le premier confinement débute en Belgique. "Je compte davantage le nombre de jours où j'ai travaillé que ceux à l'arrêt, regrette Louison. J'ai travaillé deux semaines à mon nouveau poste et l'établissement a fermé. J'ai été mis en arrêt jusqu'au déconfinement". Une période inédite et pleine d'inconnues pour tout le monde.

Trop récent pour bénéficier d'une base de clientèle suffisamment fidélisée, le restaurant qui emploie Louison ne propose pas de repas à emporter pour tenter de maintenir une activité. Pour elle comme pour de nombreux travailleurs de l'Horeca, les longues semaines d'attente et de doute défilent : "On se retrouve sur le canapé toute la journée, alors qu'on fait d'habitude des 60 heures semaines, on travaille très dur".

Premières lueurs d'espoir

La Belgique se déconfine enfin à l'approche de l'été. Mais le processus est progressif, voir les autres secteurs ouvrirent un à un rend le temps encore plus long : "On a repris en juin, dans les derniers". Louison ne le sait pas encore mais cet été en cuisine marqué par la mise en place d'un protocole sanitaire stricte n'est qu'une période de répit.

Fin septembre, le gouvernement impose aux bars et restaurants de fermer leurs portes plus tôt, avant de décider la fermeture totale du secteur Horeca mi-octobre. "En gros je n'ai travaillé que pour les vacances", remarque Louison.

La première fermeture a déjà été rude, la seconde s'annonce désastreuse. "Pour un établissement qui venait d'ouvrir, c'est une catastrophe", répète Louison. A l'incertitude quant à la reprise du secteur lors du premier confinement s'ajoutent les difficultés financières grandissantes lors du second.

Au bord de la banqueroute

Au-delà de la survie des entreprises, les salariés de l'Horeca peinent à subvenir à leurs besoins. Ils peuvent bénéficier d'un revenu de remplacement à hauteur de 70 % de leur salaire habituel (avec un plafond toutefois), explique Thierry Neyens, président de la fédération Horeca en Wallonie. "Les revenus de remplacement, c'était supportable pour une période de 3 mois avec un premier confinement, ça l'est nettement moins pour une période de 3 ou 4 mois supplémentaires. On est sur 7 à 8 mois d'arrêt sur un an", se désole-t-il.

En pratique, la part de revenu amputée est souvent plus importante que 30 %. En effet, "le revenu est issu du salaire mais aussi des heures supplémentaires défiscalisées qui permettent d'avoir un pouvoir d'achat plus élevé et pour certains des pourboires, selon le secteur", rappelle Thierry Neyens.

Je ne sais pas comment payer mes factures et si je n'avais pas d'aide extérieure, je ne saurais même pas comment manger

Pour Louison, qui enchaînait les heures supplémentaires, le manque à gagner est important. Elle se souvient du rythme effréné avant que le virus ne vienne tout interrompre : "J'ai eu des semaines très intenses. Pour justifier notre salaire, on doit déjà faire beaucoup".

Ce salaire, elle n'en voit plus qu'une maigre partie et l'attend souvent avec impatience à la fin du mois : "Le syndicat est toujours en retard. La FGTB, on ne sait pas les joindre". "Et encore je suis dans le meilleur des cas, ce ne sont que des retards. J'ai un ami, cela fait trois mois qu'il est sans revenu", se console-t-elle.

Cette salariée en restaurant qui avait accepté une place chez la concurrence pour bénéficier d'un meilleur pouvoir d'achat peine désormais à payer les factures de l'appartement où elle vit seul. "Je n'arrive pas à m'en sortir. En fin d'année il y a toutes les factures qui tombent : la contribution, taxe de voiture, tout en même temps. A l'heure actuelle, je ne sais pas comment payer mes factures et si je n'avais pas un petit peu d'aide extérieure, je ne saurais même pas comment manger".

Le temps de la désillusion

Une situation qui n'a pas fini d'entamer le moral. "C'est un peu humiliant comme situation. S'être battue pour gagner sa vie et être reconnue dans son métier pour au final ne rien gagner et devoir un peu quémander aux gens. C'est un côté un peu triste. Et il y a tout ce qui suit : on déprime, on n'est pas bien, on tourne en rond".

Alors, avec tout ce temps passé à attendre et penser aux cuisines bouillonnantes d'activité en temps normal mais désormais désertes, Louison a fini par se résigner. Le projet d'ouvrir son établissement ? N'en parlons plus, c'est trop risqué. Dans ce contexte toujours incertain, elle pense même abandonner la restauration : "Ça va encore durer un mois, deux mois, trois mois ? Les factures s'entassent, à un moment donné ce n'est plus possible. Je veux continuer dans la cuisine mais je veux arrêter la restauration. Je souhaite travailler dans la collectivité avec une garantie d'emploi. C'est triste mais j'aime autant ça".

La crainte de perdre nos bons éléments, le capital humain et les compétences

Le cas de Louison pourrait se généraliser. En Wallonie, la fédération Horeca craint de voir des salariés se réfugier dans d'autres métiers. Pour son président Thierry Neyens, "avant il y avait un jeu de concurrence. Sur la place Saint-Lambert à Liège ou la Grand-Place à Bruxelles, il y a toujours aux quatre coins une dizaine d'établissements différents. L'un est peut-être plus sympa, l'ambiance est peut-être mieux et parfois pour une différence de salaire, il y avait un changement d'entreprise mais dans le même métier. Ici, la crainte est d'avoir une perte de nos bons éléments vers d'autres secteurs. On risque de perdre le capital humain et les compétences".

La profonde crise que connaît le secteur Horeca pourrait aussi avoir des conséquences à plus long terme. "Il faudra aussi redonner une vocation à ceux qui envisagent d'en faire un métier, aux serveurs, aux cuisiniers de demain. Il ne faut pas faire peur au risque de perdre les ressources de demain", estime Thierry Neyens.

Comme près de 115.000 personnes travaillant dans le secteur de la restauration (113.744 au début de 2020 selon Statbel), Louison reste suspendue aux décisions des autorités. A l'issue du dernier comité de concertation le 18 décembre dernier, les gouvernements du pays n'ont pas évoqué l'Horeca. Si de grands espoirs reposent sur l'année 2021 qui débute, les travailleurs du secteur devront encore faire preuve de patience. Même si l'attente se fait longue : "On doit se battre, et là on nous enlève un peu le pain de la bouche".

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