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Sur la route Napoléon, les "soldats" de la reconstitution historique fraternisent

"On est tous passés par les petits soldats, pourquoi pas jouer aux grands?": à Golfe-Juan, au départ de la route empruntée par Napoléon pour reconquérir le pouvoir en 1815, des passionnés de reconstitution historique fraternisent autour d'un hobby pris de plus en plus au sérieux.

En ce mois de mars, ils sont une dizaine seulement à prendre la pose pour l'Office du tourisme local, franges dorées de colonel aux épaules, panier de vivandière au bras, baïonnette de voltigeur au pied, la plupart retraités, tous bénévoles et membres de l'association historique niçoise "Pour le Panache".

Avec les restrictions sanitaires, la centaine de figurants qui rejouent habituellement le débarquement clandestin de l'empereur le 1er mars 1815 sont restés chez eux et le sosie officiel Napoléon, Jean-Gérald Larcin, un quinquagénaire belge aux yeux bleus, ne s'est pas déplacé, un comble pour une année de bicentenaire. Napoléon est mort à Sainte-Hélène le 5 mai 1821.

"Rapport à notre ennemi, Covid-19, l'empereur ne débarque pas cette année!", déplore Patrick Batrelle, 70 ans, trésorier du groupe. Ce retraité du secteur bancaire n'a eu que deux reconstitutions dans des châteaux privés à se mettre sous la dent en un an. En temps ordinaire, l'association fait une reconstitution par mois en France ou en Europe. Avant d'embrasser l'épopée napoléonienne, il reconstituait surtout des westerns, une époque moins en vogue désormais.

- "Véritablement des spécialistes" -

Confidentielles avant les années 2000, les associations spécialisées comme la sienne ont pris du galon et servent une branche scientifique en développement appelée "l'histoire vivante", dont les municipalités sont "très demandeuses", observe Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon.

"C'est une activité associative qui ne mérite pas les moqueries dont elle fait parfois l'objet car ce sont véritablement des spécialistes", souligne-t-il pour l'AFP: "Uniformes, méthodes, ils ont une connaissance de la vie des armées qui est unique".

Et le phénomène est européen. Lors des reconstitutions de batailles, "les Français forment souvent la moitié de l'effectif, le reste vient d'Europe et paradoxalement, même en Angleterre ou en Italie, ils préfèrent reconstituer la partie napoléonienne des troupes, ce qui fait que les organisateurs ont un peu de mal à trouver les adversaires des Français !", dit-il.

"Napoléon est la figure par excellence du surhomme", souligne l'historienne Laure Murat dans son ouvrage "L'homme qui se prenait pour Napoléon". Elle rappelle qu'au XIXe siècle, sa figure cristallisera des délires mégalomanes consistant à se prendre pour l'empereur, encouragés par la cérémonie grandiose de 1840 pour le retour des cendres de Napoléon.

- "De tous les pays" -

Ancien officier avant une seconde carrière chez un opérateur de télécommunications, Daniel Mathieux, 72 ans, campe le colonel baron Antoine Darnay de la Ferrière, membre de l'état-major napoléonien. Plumet blanc, veste verte, pantalon rouge et sacoche en cuir impériale de directeur général des postes, il ne se lasse pas: "Quelque part, je continue ma vraie vie".

"On se retrouve à 200, parfois des milliers sur un campement, des gens de toutes les régions et de tous les pays, animés par la même passion, le même amour des tenues historiques, et bien sûr, de la vie de Napoléon (...), l'oeuvre civile largement autant que la gloire militaire", dit-il.

D'une main, il manipule sa longue-vue, sa pipe à motif de cerfs ou présente ses lunettes copies d'anciennes, à deux détails près, l'épaisseur du verre et les branches.

Le coût de la tenue n'a d'ailleurs rien d'anecdotique et dépasse rapidement plusieurs milliers d'euros.

"Ils ne sont pas déguisés, ni costumés, ils sont en tenue et il ne faut pas confondre avec le carnaval", souligne Philippe Mottier, président de l'Office de tourisme de Golfe-Juan, hameau de pêcheurs de la Côte d'Azur en 1815 que Napoléon a fait entrer dans les livres d'histoire. Itinéraire touristique, la route Napoléon sera créée bien plus tard, en 1932.

Cette grande "fraternité" napoléonienne pimente la vie de Jean-François Darius, 57 ans, et beaucoup de ses week-ends. Employé de jardin, il a développé un talent de photographe amateur en uniforme et est invité à tous les événements. Avec sa femme, Pascale, il n'hésite pas à bivouaquer. "On pense à eux", dit-elle, émue, évoquant les soldats de la Grande Armée.

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