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Des professeurs d'une école à La Louvière contre un retour en présentiel à 100%: "Donner cours dans des classes surchargées est un danger"

Un retour à 100% en présentiel lundi prochain dans les écoles suscite beaucoup d'enthousiasme et de soulagement chez de nombreux élèves, parents et enseignants. Un sentiment qui n'est pas partagé par des enseignants d'une école de la Louvière. Au point d'envisager un arrêt de travail. Selon eux, les mesures sanitaires ne pourront pas être respectées et ils estiment que la vaccination prioritaire des professeurs doit avoir lieu.

Une bouffée d’oxygène. Un soulagement. Des contacts humains renoués. Pour de nombreux jeunes, parents, enseignants et pédiatres, l’annonce du retour à 100% en présentiel dès lundi prochain est une très bonne nouvelle. Tous les élèves de l’enseignement obligatoire vont en effet reprendre tous les cours à l’école à partir du 10 mai. Une décision "absolument indispensable pour des raisons à la fois pédagogiques et psychologiques", avait souligné la ministre de l’Éducation Caroline Désir.

Dans mon établissement, une grosse partie des professeurs sont très mécontents de cette rentrée

Alors que la date approche, certains professeurs semblent toutefois appréhender ce retour à 100%. Des enseignants de l’Athénée provincial de La Louvière expriment leurs craintes. "Je ne vois que des personnes qui se réjouissent de cette mesure. Or, dans mon établissement qui accueille plus de 1300 élèves, une grosse partie des professeurs sont très mécontents de cette rentrée", confie Serge qui enseigne les mathématiques.

De 15 élèves actuellement à 30 lundi prochain

Selon eux, ce retour ne pourra pas se réaliser dans des conditions acceptables. "Nous fonctionnons, pour le moment, par demi-groupes qui se relaient une semaine sur deux du jeudi au mercredi d'après. Cela fait que nous sommes 15 en classe et que, dès le 10 mai, nous serons 30 en classe, pour ma part et pour d'autres", explique le professeur.

D’après lui, la superficie des classes ne permettra alors pas de respecter les distances requises. "Certains élèves vont devoir se retrouver à proximité des autres", redoute-t-il. Et les conditions actuelles ne permettront pas, selon lui, de réaliser une aération des classes dans de bonnes conditions : "Si on ouvre les portes, cela perturbe le bon déroulement du cours à cause du bruit provenant des classes voisines et, si on ouvre les fenêtres, il risque de faire trop froid vu les températures prévues la semaine prochaine", anticipe Serge.

Cette mesure de reprise arrive trop tard et ne va faire que perturber les étudiants

"Il est impossible de respecter la distanciation dans des classes surchargées"

"Demander aux enseignants de donner cours dans des classes surchargées dans lesquelles il est impossible de respecter la distanciation est un non-sens et met tout le monde en danger", abonde sa collègue Danièle. Cette professeure de langues n’approuve dès lors pas la décision d’un retour à 100%. "Nous avons dû travailler dans des conditions uniques. Tant les élèves que les professeurs ont pris leur rythme et tout bouleverser pour quelques semaines va être fort déstabilisant. Il va falloir harmoniser les groupes et tout cela le lundi 10 mai", déplore-t-elle. A cela s'ajoute, des mélanges de classe propres au secondaire et mis en avant par Catherine, une autre enseignante: "Les élèves du 3ème degré doivent changer de classe entre chaque heure de cours pour les besoins spécifiques de chaque matière (...) Chaque semaine je côtoie environ 135 étudiants différents (certains professeurs en voient plus de 300)."

Pas mal d'élèves s'épanouissent vraiment plus à 15 plutôt qu'à 30 en classe

Pascale, une autre enseignante de cette école, partage cette opinion. "Cette mesure de reprise arrive trop tard et ne va faire que perturber les étudiants", s’exclame-t-elle en confirmant que les mesures sanitaires ne pourront pas être respectées.

Selon ces professeurs, le système actuel présente des avantages pour les élèves. "Certains élèves sont en détresses à cause de l'enseignement à distance mais pas mal d'autres s'épanouissent vraiment plus à 15 plutôt qu'à 30 en classe", assure Serge. "Les élèves ont davantage l’occasion de s'exprimer et je peux repérer plus vite les faiblesses de certains et les aider", témoigne également sa collègue professeure de langues.

Une grande partie des profs de notre école n’est pas encore vaccinée

Au-delà des gestes barrière apparemment difficiles à respecter, un autre facteur alimente leur crainte: la vaccination non prioritaire des enseignants. "Une grande partie des profs de notre école n’est pas encore vaccinée. Si c’était le cas, on verrait les choses différemment", déplore Serge. Et par ailleurs, "même si nous sommes vaccinés demain, nous ne serons couverts totalement par le vaccin que minimum deux semaines après la deuxième dose, donc pas avant la fin de l'année scolaire", fait valoir Catherine.

"Je suis stupéfaite quand j'entends la ministre Désir déclarer que beaucoup d’enseignants au-delà de 55 ans sont vaccinés. C’est faux. J’ai 63 ans et j’attends toujours ma convocation. J’ai la chance de ne pas avoir de comorbidité, donc je ne suis pas prioritaire", témoigne Danièle. "Madame Désir ne cesse de clamer que nous sommes vaccinés et disposons d'autotests, c'est faux", clame à son tour Pascale, professeure de français.

Lundi, je ne prendrai qu'un demi-groupe à la fois

Vers un arrêt de travail ? 

Pour marquer leur mécontentement, ces professeurs envisagent un arrêt de travail. Une réunion est prévue ce jeudi pour en discuter. "L’arrêt de travail est l’une des options proposées pour que personne ne soit lésé. Il ne faut pas que des élèves en trop grand nombre se retrouvent en même temps dans les couloirs ou dans la cour de récréation. Ce serait contradictoire avec la situation que nous dénonçons. On doit donc trouver une solution efficace", explique le professeur de math.

"Nous n’avons pas le choix de refuser mais nous pouvons marquer notre désaccord par un arrêt de travail. Nous pouvons aussi décider de ne pas prendre le risque d'être infecté et aller voir notre médecin", confie sa collègue qui enseigne les langues.

Pascale, elle, semble déjà déterminé à agir. "Lundi, je ne prendrai qu'un demi-groupe à la fois. C'est purement symbolique mais je veux montrer ainsi mon mécontentement et l'incohérence du système", lance cette enseignante.

Le soutien des syndicats 

De leur côté, les syndicats disent comprendre et "couvrir" ce genre d’action. "Les conditions sine qua non pour un retour en présentiel à 100%, c’est le respect des règles d’hygiène et de sécurité. S’il y a le moindre souci, les enseignants peuvent marquer leur opposition en effectuant un arrêt de travail ou en menant une campagne de sensibilisation", réagit Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement.

"Une rentrée à 100% sans une vérification stricte des mesures sanitaires (l’aération, les masques, le gel) augmente les risques", souligne Joseph Thonon, président de la CGSP-Enseignement.

Les deux représentants syndicaux rappellent aux enseignants que la première étape, avant de mener une action, est d’interpeller le conseiller en prévention (interne ou externe) ou d’autres instances compétentes pour leur faire part des manquements constatés. "Ces remarques peuvent ensuite être renvoyées vers le pouvoir organisateur et les organisations syndicales. Nous pouvons alors les relayer au cabinet de la ministre Désir", indique Joseph Thonon.

Les profs gardent en tête ce qui s’est passé avant les vacances de Pâques 

Et, selon Roland Lahaye, de nombreux professeurs éprouvent des craintes. "Ils gardent en tête ce qui s’est passé avant les vacances de Pâques. A ce moment-là, les écoles ont été pointées du doigt comme la cause de tous les maux. Elles étaient considérées comme des lieux de contamination et il fallait les fermer. Du coup, les professeurs ne sont pas confiants. Chat échaudé craint l’eau froide", résume le secrétaire général de la CSC Enseignement.

Les syndicats dénoncent également le fait que la vaccination n’est pas prioritaire pour les enseignants. En front commun, ils ont d’ailleurs lancé il y a une dizaine de jours une campagne de mails envoyés aux autorités compétentes pour dénoncer cette situation. "Nous avons envoyé une lettre type avec les adresses email aux professeurs", précise le président de la CGSP-Enseignement.

Une grève ? "On veut l’éviter à tout prix"

Par contre, ils soulignent que le décrochage scolaire n’est pas le même partout. La situation actuelle n’est donc pas un "avantage" pour certains élèves. "Les écoles se sont organisées de façon différente. Dans certains établissements, la semaine a été coupée en deux, dans d’autres c’est une semaine sur deux. Pour certains élèves, cela passe mais pour d’autres ça casse", souligne Roland Lahaye. "Cela permet à certains étudiants d’avoir plus de contacts avec les profs parce qu’ils sont moins nombreux et cela augmente la qualité de l’enseignement. Mais cela veut dire que la moitié des élèves pendant ce temps doit travailler toute seule et certains jeunes ne réussissent pas à le faire", ajoute Joseph Thonon.

Alors, faut-il s’attendre à des arrêts de travail ? En tout cas, pour l’instant, aucune action n’est confirmée, selon ces deux représentants syndicaux.

Et tous ces acteurs rejettent l’idée d’une grève. "On veut l’éviter à tout prix parce que cela aurait un impact sur le temps d’apprentissage des élèves", estime Roland Lahaye. "Il ne faut pas perdre un jour de plus. Et même si la majorité des profs ont des craintes, ils sont heureux de retrouver tous leurs élèves", assure Joseph Thonon. "Il est très difficile de garder notre motivation en tant que professeur dans ces circonstances, on a l'impression de compter pour du beurre. S'il n'y avait pas l'intérêt de nos élèves, on laisserait bien tout tomber. Mais non, tout le monde s'accroche, parce qu'on aime notre métier et que nos élèves comptent pour nous !" dit Catherine.

"Nous n’avons pas envie de faire grève parce que les élèves et les profs veulent récupérer le retard", confirme le professeur de math de l’Athénée provincial de la Louvière. Reste à voir la forme que prendra leur mécontentement suite à la réunion prévue avec ses collègues.

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