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Delphine, patronne d'un salon de coiffure, a beaucoup de mal à recruter: "Les employés sont partis, lassés d'être au chômage"

Télétravail, réorientation... les motifs ne manquent pas pour perturber le travail des salons de coiffure. Au final, beaucoup d'incertitude, et donc d'inquiétude.

Delphine Gendarme est gérante des salons Delfin Alexander situés à Gozée et Maisières. Sa mère, Marie, vient parfois lui prêter main forte dans ses établissements, mais récemment Marie est de plus en plus inquiète pour l’activité commerciale de sa fille. Elle a d’ailleurs appuyé sur le bouton orange Alertez-Nous pour nous partager son sentiment. "Delphine est à la recherche d’une personne pour remplacer l’une de ses coiffeuses. Et, c’est "mission impossible", nous décrit-t-elle.

Malgré une annonce postée via le Forem et la plate-forme Indeed, Marie qui se décrit "comme Soeur Anne" dans le conte 'La Barbe bleue': elle ne voit personne venir…

Contactée par nos soins, Marie estime que "depuis la crise du covid, les ouvrières coiffeuses (coiffeurs) ont pris l’habitude de coiffer à domicile et que tous les patrons de salon se retrouvent dans la même galère."

Officiellement, selon le Forem (le service public wallon de l'emploi et de la formation), la fonction de coiffeur est classée dans les métiers critiques, c’est-à-dire qu’il s’agit désormais d’un métier pour lequel les offres d’emploi sont moins facilement satisfaites et pour lesquelles le délai pour recruter est plus long. 

Comment expliquer que le métier de coiffeur en tant que salarié puisse être moins attrayant ? Nous avons demandé à Patrick Dumont, vice-président de la Fédération des coiffeurs de Belgique s’il y avait de moins en moins de travailleurs dans ce secteur qui souhaitaient avoir le statut de salarié. Pour lui le problème réside davantage dans le fait que la coiffure est désormais classée dans les métiers à risque. "Nous sommes effectivement confrontés à un manque de 'matching' entre les employeurs qui recherchent du personnel et l’engagement des travailleurs en question."

Ce phénomène peut être expliqué par plusieurs éléments, selon Patrick Dumont.

Les formations dans les écoles de coiffure ont été perturbées

"La coiffure, c’est aussi une profession qui pour pouvoir être exercée avec brio nécessite une certaine expérience et une mise en pratique de longue haleine. Maintenant il est clair que le coiffeur qui effectue sa première coupe ne le fera pas de manière aussi aguerrie que le coiffeur qui a dix ou 15 ans d’expérience derrière lui. La crise covid a aggravé la situation puisque c’est une profession qui s’exerce entre autres par le biais de stages en entreprise et comme vous le savez les salons de coiffure ont été fermés plus de 5/12e sur ces deux dernières années. Et donc, la qualité de la formation des apprenants à ce jour est encore moins bonne que ce qu’elle n’était par le passé", déplore Patrick Dumont.

Il y a une impossibilité de faire correspondre les qualifications de ceux qui sortent de l’école avec les attentes des entreprises

Et de développer: "Ce n’est pas un métier qui serait similaire à un étudiant en droit qui pourrait mémoriser de la matière par lui-même, pour autant qu’il la comprenne. La coiffure, c’est vraiment une question de s’entraîner et de s’exercer. C’est avant tout une question d’expérience qui s’affine et qui augmente au fil des années. Et donc si l’apprenant quitte l’école (malheureusement) en ayant un manque de pratique à ce niveau-là, il est clair que quand il se retrouve sur le marché de la coiffure, les employeurs qui doivent absolument avoir une certaine rentabilité par rapport à cet engagement n’y trouvent pas leur compte. Il y a donc une impossibilité de faire correspondre les qualifications de ceux qui sortent de l’école avec les attentes des entreprises."

De nombreux coiffeurs ont "goûté" au statut d’indépendant

Autre explication exposée par le vice-président de la Fédération des coiffeurs: "il y a vraisemblablement des travailleurs qui vont quitter le secteur en tant que salarié pour continuer à exercer la profession à titre d’indépendant".

Et de développer ce changement de statut: "Pendant la période covid où ils ont dû rester de très nombreux mois sans travailler, des travailleurs n’ont pas eu d’autres choix que de trouver des solutions alternatives pour pouvoir faire face à la perte de salaire qu’ils avaient et ils ont vraisemblablement l’intention de continuer à exercer à titre d’indépendant la profession qu’ils exerçaient par le passé en tant que salariés. Il est clair qu’avec le coût des charges patronales, un employeur ne pourra jamais offrir les mêmes conditions salariales que ce que le travailleur pourrait percevoir s’il devait travailler seul à titre indépendant…"

Construire leurs propres horaires

"De plus, le statut d’indépendant a montré pour beaucoup des avantages dans la qualité de vie. Ceux qui ont exercé la fonction en tant qu’indépendant ont eu la possibilité de pouvoir construire leurs propres horaires et donc si un indépendant souhaite travailler par exemple tous les jours à 9h du matin et s’arrêter à 16h pour pouvoir aller chercher son enfant à l’école, ou à la crèche ou à la garderie, c’est une possibilité qui lui est offerte. Quand il a un statut de salarié et qu’il travaille pour le compte d’un employeur, il est clair que les magasins et salons de coiffure répondent en général à des demandes commerciales et doivent être ouverts 6 jours sur 7, de 9h à 19h, voire parfois 20h du soir", détaille le vice-président de la Fédération des coiffeurs de Belgique.

Certains coiffeurs ont préféré exercer une autre activité pour des raisons financières

A côté de cela certains coiffeurs ont changé de vocation pendant la pandémie pour des raisons financières, et même alimentaires. "Nous pensons à l’heure actuelle, puisque nous n’avons pas encore les chiffres, que pendant toute cette période durant laquelle ils sont restés inactifs et ont perdu une partie de leur rémunération, de nombreuses coiffeurs se sont tournées pendant la pandémie vers d’autres métiers dont les horaires étaient plus souples et vers des rémunérations qui étaient au moins égales à ce qu’ils percevaient avant la crise de covid 19. La grande distribution, il y a eu un regain pour ce secteur, dans les transports également et nous pensons qu’effectivement pour pouvoir pallier cette perte de rémunération, des coiffeurs se sont tournés vers d’autres secteurs plus porteurs et plus attractifs sur le plan salarial", explique Patrick Dumont.

La fréquentation du salon a diminué de 70% depuis le début de la pandémie

Delphine n'est pas la seule qui a des difficultés à recruter

Nous avons contacté plusieurs coiffeurs. Un coiffeur du quartier Schuman à Bruxelles qui souhaite garder l’anonymat nous confirme cette tendance. "Chez nous, la fréquentation du salon a diminué de 70% depuis le début de la pandémie. Nous avons des employés qui sont finalement partis, lassés d’être au chômage économique et qui ont commencé un autre travail. Je suis là depuis 17 ans, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Les bureaux sont vides. Les employés en télétravail. Les clients ne viennent plus. Les employés finissent par s'en aller."

Un autre coiffeur du Brabant wallon qui souhaite garder l’anonymat nous confie: "Nous avons toujours des employés qui sont partiellement en chômage économique. On ne sait pas où sont passés les clients mais on est très loin de la capacité habituelle… Est-ce que les gens ont trouvé d’autres moyens pour se faire coiffer ? En tous les cas, les clients ne viennent pas, ils ont changé leurs habitudes."

"La clientèle, aussi, a changé ses habitudes"

Même les grandes chaînes comme Olivier Dachkin constatent une baisse du chiffre d’affaires liée aux changements d’habitude des clients, nous explique la chargée de communication et marketing d’Olivier Dachkin. "Cette baisse, on l’explique parce que le télétravail est très mauvais pour nous. Les clients ont moins le souci de se faire coiffer. Certains clients ont changé leurs habitudes. Ceux qui ont des cheveux blancs ont opté pour leur vraie couleur."

Le recrutement a toujours été difficile

Chez Olivier Dachkin, une tendance assez étonnante se dessine dans la fréquentation des salons de la chaîne. "Les clients n’osent plus passer trop de temps dans les centres commerciaux. On constate une plus grande baisse de chiffres d’affaires dans les shoppings que dans les rues commerçantes. Le côté plaisir n’est plus là, parce qu’on doit porter les masques. Certains ont peur aussi de passer trop de temps dans un salon."

Ici aussi le recrutement est compliqué. "Le recrutement a toujours été difficile, même avant le covid, sauf que l’un dans l’autre, chez nous on travaille avec beaucoup de personnels. Le recrutement, on n’en a pas fait beaucoup ces derniers temps, avec les gens qui se reconvertissent. Mais je confirme que c’est compliqué, j’ai mis des annonces et c’est plus difficile de recruter dans les grandes villes comme Bruxelles qu’à Eghezée ou à Dinant. Mais c'est sans doute à cause du coût de la vie."

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