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Dans le Cantal, un projet de carrière sur une zone humide suscite des remous

Une petite algue fossilisée au coeur de la tempête: défenseurs de l'environnement et industriels s'affrontent dans le Cantal autour de la narse de Nouvialle, zone humide exceptionnelle qui abrite aussi l'un des plus gros gisements de diatomite d'Europe.

La diatomite est un minerai très convoité constitué de fossiles de diatomée -micro-algue unicellulaire- et utilisé par l'industrie agroalimentaire pour filtrer vins, bières ou jus d'orange mais également la pharmaceutique (antibiotiques, plasma) ou la cosmétique (parfums, dentifrice).

La multinationale Imerys, spécialiste des minéraux à destination de l'industrie, compte déposer en 2023 une autorisation d'extraction sur la narse ("zone humide" en occitan) de Nouvialle, ancien lac de cratère qui s'étend sur 400 hectares entre Saint-Flour et les monts du Cantal. Et pour ses opposants -élus locaux, agriculteurs, chasseurs, randonneurs- c'est l'avenir même du précieux site qui est en jeu.

La zone classée Natura 2000 abrite de nombreuses espèces protégées. Les diatomées s'y sont déposées il y a plus de cinq millions d'années, formant "le plus important gisement d'Europe", selon Imerys.

Avec ses pores microscopiques, la diatomite "est un tamis naturel sans égal dans le monde animal et végétal. Rien ne peut la remplacer", assure François Gueidan, directeur d'une usine d'Imerys qui exploite déjà une carrière dans le Cantal.

Le site, qui emploie 32 personnes, arrive en fin d'exploitation: "dans cinq à six ans, il faudra ouvrir une autre carrière. Nous n'avons pas de plan B", dit-il. Soixante-quinze emplois indirects dépendent de l'exploitation, selon lui.

Devant l'usine, un semi-remorque charge la diatomite en vrac. A quelques kilomètres, la carrière détonne au milieu de la végétation de montagne, avec son trou béant et sa poussière blanchâtre soulevée par le vent.

En décembre 2021, les gisements de diatomite ont été reconnus "d'intérêt national" par le schéma régional des carrières, approuvé par le préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes.

De quoi conforter les projets d'Imerys et de son principal concurrent Chemviron, également implanté dans la région.

Imerys promet de limiter l'extraction à 10 hectares, soit 20.000 tonnes de diatomite par an, vendue entre 250 et 450 euros la tonne.

- Zone classée-

Sur place, à l'entrée d'un pré au sol encore boueux en ce mois de juin caniculaire, l'orchis de mai cache ses fleurs violacées derrière les herbes hautes: cette espèce protégée des zones humides "est menacée par les projets de carrière comme de nombreuses autres plantes ici", déplore Christophe Grèze, porte-parole du collectif pour la narse de Nouvialle qui regroupe des associations comme la LPO, la Fédération des chasseurs ou la Fédération de randonnée.

"C'est un site pour lequel l'Union européenne engage des actions de préservation, donc c'est en contradiction complète avec l'ouverture d'une carrière", dit Christophe Grèze.

Traversée par deux ruisseaux, inondée une partie de l'année, la narse joue aussi "un rôle de tampon" en retenant une quantité d'eau importante, selon lui.

Le collectif redoute l'impact pour la ressource en eau alors que le gouvernement a lancé en mars un nouveau plan national de protection des zones humides, remparts au réchauffement climatique.

"Dix hectares de carrière, c'est une petite zone mais dans la réalité, c'est 80 à 100 hectares qui seront artificialisés avec les projets des deux multinationales", expose Anthony Marque, un autre membre du collectif, à un groupe de lycéens venus de Niort.

Le collectif met aussi en avant la trentaine d'agriculteurs, auxquels l'humidité offre une ressource fourragère "de plus en plus indispensable dans un contexte de changement climatique".

Les élus des trois communes concernées, Valuejols, Roffiac et Tanavelle sont aussi opposés au projet. Ils sont soutenus par la présidente de Saint-Flour communauté, Céline Charriaud.

"C'est une zone de production de lait et de fromage de qualité. On a toute une politique d'attractivité du territoire où on valorise le cadre de vie. C'est incompatible avec une exploitation minière à ciel ouvert de cette envergure", explique l'élue qui a fait voter une résolution pour demander un arrêté de protection de biotope.

Sollicité par l'AFP, le préfet du Cantal Serge Castel n'a pas souhaité s'exprimer, alors qu'Imérys n'a pas encore déposé de demande.

La narse "bénéficie déjà de protections suffisantes permettant de préserver son équilibre sans nécessiter l'adoption" de cet arrêté, fait savoir la préfecture dans une réponse écrite.

-"Intérêt général"-

Le site est aussi traversé par le GR4, reliant Royan (Charente-Maritime) à Grasse (Alpes-Maritimes) sur 1.526 km.

"Les randonneurs viennent voir une faune et une flore remarquables", souligne Alex Seher, membre de l'antenne Cantal de la Fédération de randonnée, face au projet "inimaginable".

De son côté, Imerys promet de réhabiliter le site après exploitation et fait volontiers visiter la "vitrine" du groupe, une ancienne carrière comblée puis végétalisée.

Un marais y a été reconstitué : "Nous n'avons pas la prétention de recréer ce que la nature a construit, mais quelque chose qui a une fonction écologique", fait valoir François Gueidan, en défendant une "extraction raisonnable et raisonnée".

Si la diatomite n'est plus exploitée en France, 2e producteur après les Etats-Unis, "alors elle sera importée du Mexique ou de Chine dans des cargos, avec un impact carbone considérable", prévient-il.

Pourtant selon Anthony Marque "des alternatives à la diatomite existent": elles ne sont "pas forcément rentables encore. Mais d'ici 2030, on a le temps de les rendre perfectibles".

Le collectif réfléchit en parallèle à des activités durables pour compenser les emplois menacés par la fermeture de l'usine qui inquiète certains élus. Il a aussi déposé début juin un recours devant le tribunal administratif de Lyon contre le nouveau schéma des carrières.

"C'est un peu David contre Goliath", admet Anthony Marque, mais "la bataille ne fait que commencer".

Reste une question de fond qui dépasse les enjeux locaux, selon Céline Charriaud: "L'intérêt général, il est où?"

"Soit on considère que les sujets d'eau, de transition énergétique, écologique, de maintien de la biodiversité, d'agriculture qualitative sont des sujets d'intérêt général qui transcendent tout le reste. Soit on considère que l'activité minière est supérieure à ça".

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