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"L'accusé a entendu les noms et prénoms des jurés": Charles est soulagé de ne pas avoir été tiré au sort dans un procès d'assises à Namur

Charles, un habitant de Namur a failli être juré dans un procès d'assises. Il s’étonne que l’accusé ait accès à l’identité complète des citoyens appelés à juger de ses actes. Il se demande si ces procédures judiciaires ont encore lieu d’être. Les jurys d’assises sont pourtant une forme de participation citoyenne à la justice et un devoir civique.

Prendre part à un jury d’assises est une expérience unique… que Charles est pourtant heureux d’avoir pu éviter jusqu'à présent. Via le bouton orange Alertez-nous, il rapporte avoir été invité à participer à un jury populaire mais n’avoir pas été retenu. Le Namurois révèle avoir eu quelques craintes, qu’il détaille: "Le condamné était présent et a assisté à tout le débat. Il a entendu les noms et prénoms des jurés qui vont donner leurs avis quant à la sentence qu'il va recevoir". "Les jurés n'ont-ils pas peur de pressions ou de représailles éventuelles ?", s’interroge Charles.

Tout a commencé par un courrier apporté par un huissier en mains propres. "C’est ma compagne qui a ouvert la porte. Elle a eu un choc, elle se demandait ce que j’avais fait et ce qu’on allait devoir payer… ", se souvient-il. Il ajoute qu’un policier est ensuite passé à son domicile pour faire une enquête et puis qu’il a reçu une convocation pour participer à un procès en juin dernier à Namur.

Si on tape mon nom et mon prénom sur internet, on sait où j’habite

140 personnes sont alors convoquées à l’audience de constitution du jury du procès d’un homme accusé d’avoir tué son frère. Il y a un tirage au sort. 12 jurés et trois suppléants sont finalement retenus. Charles n’en fait pas partie et c’est une bonne nouvelle pour le papa de deux enfants, qui confie d’ailleurs avoir bu une ou deux pintes "de soulagement" après l’audience, avec un des autres jurés non choisis. "Ce qui me gêne un peu ? Si on tape mon nom et mon prénom sur internet, on sait où j’habite… Si j’avais été retenu, je l’aurais fait car c’est un devoir civique, mais cela aurait pu me faire peur, justement à cause de mes deux filles".

Dans la vie, le quinquagénaire est formateur en informatique, il est donc particulièrement conscient des potentiels risques liés à l’identité numérique. Ce qui lui fait se demander "si la justice est bien adaptée aux nouvelles technologies de l'information?" Car ces procédures, ajoute-t-il, datent d’un moment où il n’y avait pas d’internet.

Quel est l’intérêt d’énoncer l’identité précise des jurés en présence de l’accusé ?

Premiers constats : on est dans une justice humaine, on connaît donc le visage et l’identité de la personne qui juge. Et la particularité de la cour d’assises, c’est justement que les juges sont des citoyens qui sont tirés au sort. C’est une forme de participation citoyenne à la justice.

Il y a souvent un débat entre le maintien et la suppression de la cour d’assises, puisque dans tous les autres cas ce sont des juges professionnels, rappelle Damien Vandermeersch, professeur de droit pénal à l’UCLouvain et membre de l’ancienne commission de réforme de la cour d’assises.

Pour le professeur, c’est une question très délicate car "la justice doit être rendue de façon publique, donc cela veut dire que le public a accès à la salle d’audience et cela veut dire aussi que le juge n’est pas anonyme". Il précise : "on ne conçoit pas, actuellement en tout cas, que des personnes soient jugées par d’autres, jurés ou juges professionnels, qui agiraient sous le couvert de l’anonymat. La justice doit être un peu transparente".

Et cette obligation est prévue par la loi, abonde la juge Marie Messiaen, la porte-parole de l’Association syndicale de la Magistrature. "C’est une condition indispensable de savoir qui juge, qui prend la décision de priver quelqu’un de liberté ou non". Elle précise également que : "L’impartialité et l’objectivité des personnes qui composent un jury sont des conditions élémentaires et fondamentales. La procédure prévoit, pour un jury populaire, la possibilité pour les parties de récuser, d’écarter, de ne pas sélectionner un juré avant même le procès, sans nécessairement devoir le justifier, donc c’est indispensable de savoir à qui on a affaire".

Que penser des éventuelles craintes de représailles ?

Pour les deux juristes, les risques de représailles sont vraiment minimes. La porte-parole de l’Association syndicale de la Magistrature pointe le fait que le juré n’est pas tout seul : "Il n’intervient que dans un mode de décision collective. Et au sein de ce jury, les jurés ne sont pas les plus exposés. À moins de se faire remarquer, parce qu’il montrerait des signes de désapprobation et là il risque surtout d’être récusé".

C’est un risque minime avec lequel il faut vivre

"On peut comprendre les craintes des citoyens", considère Damien Vandermeersch même s’il juge, comme Marie Messiaen que "les acteurs professionnels sont plus exposés". La magistrate rappelle d'ailleurs à cet égard qu'une juge de paix et un greffier ont été tués par balles en pleine audience, en 2010 à Bruxelles. "Le risque zéro n’existe pas. Si on accepte l’idée d’un jury populaire, c’est un risque minime avec lequel il faut vivre", soutient-elle.

Est-ce qu’un juré peut être récusé parce qu’il craint des représailles ?

Selon le professeur de droit pénal, il est vraisemblable "qu’un juré qui dirait qu’il se sent incapable de juger, parce qu’il nourrit des craintes et qu’il risque d’être influencé par ces craintes, soit récusé par le procureur, ou dispensé pour autant qu’il soit honnête dans sa démarche".

Est-ce que la justice devrait adapter ces procédures à la réalité des technologies de l'information?

"Si on craint d’être identifié, aujourd’hui, il ne faut même plus le nom des personnes, il y a des systèmes de reconnaissances faciales", objecte la magistrate.

Pour Damien Vandermeersch, la question de l’adaptation, "ce n’est pas une question de technologies de l’information, mais plutôt d’anonymat ou pas". Quitte à aller jusqu’au bout… "Vous imaginez ? On ne va pas mettre des juges ou des jurés cagoulés à l’audience… Je ne vois pas un système de justice rendue par des juges anonymes, parce que même pour le contrôle démocratique, il faut quand même savoir qui a rendu la décision, sinon on peut se cacher derrière l’anonymat et dissimuler des choses, cela créé la suspicion", argumente le professeur.

L’exemple français

Damien Vandermeersch soulève l’exemple français. En matière de terrorisme, la France a basculé vers un autre système de cours d’assises, mais avec un jury composé de magistrats professionnels. "Pour moi, ce n’est plus une cour d’assises, c’est un tribunal de professionnels". La décision a été prise parce qu’à un moment donné, ils n’ont plus trouvé de jurés, justement parce que ceux-ci nourrissaient de trop grandes craintes, dans ce type d’affaires.

Et en Belgique ?

Le procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles doit débuter en octobre prochain devant la cour d’assises de Bruxelles. "On a déjà eu pas mal de dossiers de terrorisme jugés en correctionnel et cela s’est passé de façon, me semble-t-il, assez sereine, sans qu’il n’y ait un climat de menaces ou d’inquiétudes particulières", éclaire Damien Vandermeersch pour qui "on a réussi à garder un bon équilibre entre d’un côté la sécurité et la protection et de l’autre, un procès public et démocratique".

La cours d’assises, telle qu’elle existe aujourd’hui, a-t-elle encore un intérêt ?

L’intérêt principal, pour Damien Vandermeersch, c’est la participation citoyenne "avec quelque part cette fraîcheur d’esprit du citoyen". La commission de réforme de la cour d’assises, dont il faisait partie, a proposé à l’époque, un système mixte, c’est-à-dire une juridiction composée à la fois de juges professionnels mais aussi de citoyens volontaires. Il s’agirait de personnes qui s’inscriraient dans un processus de justice et qui exerceraient leurs fonctions pendant quelques années. "Ce serait intéressant parce qu’on aurait des citoyens qu’on pourrait bien former en termes de compréhension des questions plus complexes mais qui auraient aussi ce regard un peu plus extérieur, un peu plus neuf", commente le professeur. Mais le choix politique est pour l’instant de maintenir la cour d’assises.

Cette fois-ci, Charles n’a donc pas eu la lourde tâche de participer au jugement des actes d’un autre individu mais il sait que cela pourrait encore lui arriver. "C’est la première fois que j’étais appelé, mais je suis repris sur la liste pour une durée de cinq ans", précise le Namurois.

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