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Pour les salariés des sous-traitants automobiles, la route périlleuse de l'électrification

Dans quelques mois, Emrullah Karaca sera prêt à assembler des pompes à chaleur. Un métier nouveau pour ce mécano allemand qui fabrique des freins de voiture depuis plus de vingt ans mais dont l'usine est vouée à fermer.

Fin 2027, l'équipementier automobile Continental délocalisera la production de son site de Gifhorn, dans le nord de l'Allemagne, vers la Croatie, la République tchèque et le Pays de Galles pour rester "compétitif".

Pour les 800 salariés qui vont perdre leur poste, comme Emrullah Karaca, la course à la reconversion a commencé.

Il fait partie des milliers de travailleurs de la sous-traitance automobile, secteur phare de l'industrie allemande, frappés par un tsunami de plans sociaux ces derniers mois. En Allemagne, le spectre du décrochage industriel plane sur la campagne des élections européennes.

Les équipementiers européens encaissent le double choc de la fin programmée du moteur thermique dans l'UE et de la montée en puissance de la concurrence chinoise.

Comme Continental, qui va supprimer quelque 7.000 postes dans le monde, les allemands Bosch, ZF, Webasto ont récemment annoncé des coupes importantes dans leurs effectifs. Idem en France pour les groupes Forvia et Valeo.

A Gifhorn, une entreprise régionale, Stiebel Eltron, a proposé de transformer l'usine en site de production de pompes à chaleur et à 49 ans, Emrullah Karaca se forme à ce nouveau métier.

"Des freins ou des pompes à chaleurs, pour moi ça revient au même!", assure à l'AFP ce père de trois enfants. Non sans un pincement au coeur: ses deux parents étaient déjà ouvriers chez Continental.

Stiebel Eltron espère préserver 300 emplois. Jusqu'à 100 salariés de Conti pourraient retrouver un emploi dans l'usine ferroviaire de Siemens Mobility, à une trentaine de kilomètres.

- Nouveaux acteurs -

Incontournables pour la fabrication de pots d'échappement, pistons, cylindres, boîtes de vitesse, freins, les ouvriers de la sous-traitance automobile - quelque 270.000 emplois en Allemagne- se demandent de quoi l'avenir sera fait.

"Pour 100 ouvriers impliqués dans la fabrication d'un moteur traditionnel, seulement 10 sont nécessaires à la fabrication d'un moteur de voiture électrique", résume Jutta Rump, professeur à l'Université de Ludwigshafen.

Alors que l'Union européenne prévoit de bannir les ventes de voitures thermiques neuves en 2035, l'électrification accélérée du secteur automobile bouleverse le coeur de métier des équipementiers traditionnels.

Ils affrontent la concurrence d'acteurs nouveaux, notamment les fabricants chinois de composants électroniques qui grappillent des parts de marché.

Le géant chinois de la batterie CATL s'est ainsi hissé en quelques années au troisième rang des équipementiers mondiaux, toujours menés par l'allemand Bosch, selon le cabinet de consultant Roland berger.

Les équipementiers traditionnels justifient aussi les coupes dans les effectifs par la pression des constructeurs automobiles engagés dans une guerre des prix.

- Grève -

En Allemagne, un sous-traitant sur trois envisage de délocaliser à l'étranger pour des raisons de compétitivité, d'après une étude de la fédération des constructeurs automobiles allemands (VDA).

Au sud-ouest du pays, l'usine Ford de Sarrelouis fermera en 2025. Finie les traditionnelles Fiesta, Mondeo, Focus, que le site a longtemps fabriquées. Le constructeur américain a choisi son usine de Valence, en Espagne, pour la production des modèles électriques de grande série.

Cette fermeture est un séisme pour le parc des équipementiers collaborant avec l'usine. Leurs salariés ont observé une grève de six jours en mars pour obtenir des indemnités de départ suffisantes.

Parmi eux, Luca Thonet, chef d'équipe en logistique chez Lear, l'un des fournisseurs de Ford. A 33 ans, il souhaiterait rester dans cette région frontalière de la France.

"Mais il n'y a presque plus d'industrie dans la région ; les autres usines ne sont pas dans une très bonne situation non plus", explique-t-il à l'AFP .

Il cite l'exemple de l'équipementier ZF qui a lui aussi annoncé deux fermetures d'usines en Allemagne et dont le comité d'entreprise craint la suppression de 12.000 emplois, notamment à Sarrebruck, à 25 kilomètres de Sarrelouis.

Car si l'Allemagne est confrontée à une grave pénurie de main d'oeuvre, elle ne vaut pas pour tous les secteurs. Dans l'informatique, la vente, le développement de produit "on manque de personnel qualifié, mais ce n'est pas le cas dans la production", prévient Jutta Rump.

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